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Discrimination capillaire : vers une loi historique ?

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Les députés français ont voté ce 28 mars une proposition de loi historique. Celle-ci a pour objectif de « reconnaître et sanctionner la discrimination capillaire », notamment en milieu professionnel, et était portée par le député guadeloupéen Olivier Serva (LIOT) à l’Assemblée nationale. Et ce n’est pas une blague ! Les femmes aux cheveux bouclés, frisés et encore davantage crépus le savent bien, elles qui sont encore si souvent discriminées à l’embauche si elles ne portent pas leurs cheveux sagement lissés et attachés. Reste que la proposition de loi doit maintenant être votée au Sénat, où elle rencontrera sans doute plus d'oppositions...

Des discriminations à l'embauche

Si les choses évoluent depuis quelques années, du moins en termes d’image et de communication, et de mode, il semble que sur le terrain, certains employeurs persistent à trouver que des cheveux afro coiffés au naturel ne renvoient pas une image de professionnalisme. « Ce n’est pas professionnel, ça fait sale et c’est sauvage », s’est ainsi entendu répondre l’influenceuse Kenza Bel Kenadi lors d’un entretien d’embauche, à 17 ans. Après avoir été pendant des années la cible de commentaires moqueurs ou plus acides à l’école…

 

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Le député LIOT Olivier Serva avec Kenza Bel Kenadi © D.R.

 

Des expériences vécues souvent rapportées dans mes articles, par des coiffeuses et créatrices telles que, notamment, Sarah Pavlovski, Natasha Gaze, Murielle Kabyle, Aline Tacite (Boucle d’Ebène), Kelly Massol (Les Secrets de Loly) ou encore Aude Livoreil-Djampou (Studio Anaé), ces trois dernières ayant été invitées à l’Assemblée nationale par Olivier Serva, pour participer à la réflexion autour de cette proposition de loi, avec Stéphanie Bozonnet, spécialiste de la formation très engagée sur cette question, et fondatrice du Cercle des Femmes de la Coiffure, et Christophe Doré, président de l’Unec (et aussi Kenza Bel Kenadi, Ghana Elin - Ateliers Crépus -, Rehma Grace Omari Musau et Eva Biassou-André - EvasHair ).

 

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Aude Livoreil-Djampou et Stéphanie Bozonnet © D.R.

 

Le député du LIOT, pour porter cette proposition de loi, s’est notamment appuyé sur une enquête menée par Dove et Linkedin aux Etats-Unis en 2023 affirmant que « deux tiers des femmes afro‑descendantes changent de coiffure avant un entretien d’embauche. Leurs cheveux (étant) 2,5 fois plus susceptibles d’être perçus comme non professionnels ».

Un problème de santé publique

A noter que dans le cas des cheveux très frisés et crépus transformés grâce à des solutions chimiques pour les lisser ou les attacher, et répondre ainsi aux critères de certains employeurs, la démarche n’est pas anodine. Outre l’impact sur l’estime de soi, elle pose des problèmes de santé publique, puisqu’on sait que les coiffures serrées peuvent causer, à terme, une alopécie de traction, et que les produits de défrisage peuvent être très dangereux, et provoquer des brûlures au niveau du cuir chevelu.

 

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Eva Biassou-André, Ghana Elin, Christophe Doré et Aude Livoreil-Djampou © D.R.

 

Si la discrimination capillaire touche les personnes aux cheveux bouclés à crépus coiffés au naturel, avec beaucoup de volume, cette discrimination peut aussi toucher les femmes blondes, ainsi que… les roux !

Cheveux frisés, mais aussi blondes et roux...

Les clichés ont la vie dure, qu’il s’agisse de non professionnalisme, de superficialité, d’incompétence ou tout simplement de difficulté à accepter la différence ou la rareté. Une étude britannique de 2009 pointe ainsi qu’une blonde sur 3 se colorait les cheveux afin d’augmenter ses chances de faire carrière et « d’avoir l’air plus intelligente en milieu professionnel ». Le député Olivier Serva affirme que cette discrimination capillaire toucherait également les hommes chauves dans leur progression dans les entreprises (étude à l’appui).

Couper les cheveux en quatre ?

Cette proposition de loi est-elle superflue, puisque que le Code du Travail stipule déjà que « l’apparence physique est une cause de discrimination », et que nombre d’avocats affirment que les textes existants sont suffisants pour lutter aussi contre les discriminations capillaires ? L’affaire n’est en réalité pas si simple (même s’il est vrai qu’en France, on aime bien légiférer…). Les discriminations rapportées montrent bien que le texte existant n’est pas assez explicite sur la question des cheveux, et que personne d’ailleurs ne songe à l’utiliser.

C’est pour cela que, concrètement, cette proposition de loi ne contient en réalité qu’un seul article, qui conduira, s’il est voté par le Parlement, à la modification de plusieurs textes juridiques*, en y ajoutant la précision qu’aucune distinction, notamment en milieu professionnel, ne pourrait être fondée sur « la coupe, la couleur, la longueur ou la texture (des) cheveux ». A charge des postulants, et des employeurs, de l’utiliser avec bon sens.

A noter aussi, si cette loi passe, la France ne rattrapera pas son supposé « retard » par rapport aux pays anglo-saxons, comme on le lit ici ou là. En réalité, l'Hexagone serait au contraire le premier pays à être doté de ce type de loi au niveau national, et serait ainsi une nation pionnière sur ce sujet (aux Etats-Unis la loi existante n’est pas fédérale et ne concerne que 24 Etats ; au Royaume-Uni il ne s’agit que d’une directive pour éviter la discrimination capillaire dans les écoles). Une première étape décisive a été franchie, reste à passer le cap du Sénat !

A lire aussi : Les boucles (enfin) réhabilitées ?

28/03/24

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