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Thierry, Thafar, Rawa... : une belle histoire

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(Ci-dessus, Thafar Alshamani en plein travail © Les Hommes ont la Classe)

Ce 12 janvier, Thafar Alshamani est lauréat ex-aequo, en coiffure Homme, du concours de jeunes talents de la Fondation Guillaume (avec Arthur Peley). Les deux jeunes hommes sont motivés, ils peuvent encore progresser, et c’est justement l’ambition de la Fondation Guillaume que de dénicher des jeunes qui ont du potentiel et de les former. Mais Thafar est un cas un peu plus particulier. Il travaille au salon « Les Hommes ont la Classe » (une enseigne aujourd’hui déclinée en 10 salons, en succursales ou en franchise) de Pau depuis 3 ans ; il est formé et soutenu par le fondateur du concept Thierry Bordenave, ainsi que par sa collaboratrice Sabine... et c’est un jeune Irakien de 24 ans. 

 

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Prix Homme du concours de la Fondation Guillaume © E.L. pour Brunette

 

« Il a quitté son pays en 2017 pour fuir Daech et la guerre, et trouver refuge en France, explique Thierry Bordenave. Il est parti avec ses parents, qui ont accepté de tout perdre et de tout recommencer à zéro, ici, pour lui assurer un meilleur avenir. Il leur en est d’ailleurs très reconnaissant. Il s’est inscrit dans une école de coiffure, car il voulait devenir coiffeur-barbier. Ça fait 3 ans qu’il travaille avec nous, il est aujourd’hui en BP. Il est arrivé avec des rêves et des espoirs, et s'est rapidement passionné pour la coiffure, qu'il considère comme une forme de résilience. Je suis très heureux et fier que son travail acharné lui ait permis de remporter ce prix. »

Une politique d'embauche hors-norme

Comment Thierry a-t-il eu vent de ce jeune homme, et l’idée de l’embaucher ? C’est en fait dans l’autre sens que ça s’est passé. Cela fait 7 ou 8 ans que Thierry embauche régulièrement, dans ses salons, « des jeunes gens venus de loin, qui ont vécu des choses difficiles, qui veulent travailler, se former au métier, ou qui sont déjà coiffeurs. Je suis en contact avec les foyers et centres sociaux de migrants. Ils savent ce que je fais, et ils m’envoient des jeunes. Ils viennent le plus souvent du Moyen-Orient ou d’Afrique ». Mais d’où vient l’idée de ces embauches pas tout à fait comme les autres ? Du grave problème de recrutement que rencontre depuis des années la profession ?

 

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Thafar Alshamani et Thierry Bordenave © E.L. pour Brunette

 

Pas seulement. « Cela fait un petit moment que je suis déçu par les mentalités, en France, répond sobrement Thierry. J’en ai assez de l’égoïsme et des individus auto-centrés. Et il ne s’agit pas que des jeunes… Et puis bien sûr, il y a aussi le problème du recrutement, c’est vrai, qui a tendance à s’aggraver. Des salons sont obligés de fermer faute de pouvoir recruter du personnel ! Recruter de jeunes migrants volontaires et travailleurs, c’est aussi une alternative pour notre métier. »

Accompagner les résilients

Mais évidemment, ce n’est pas si simple. « Techniquement, ces jeunes sont très ‘’barber’’, très tondeuse, alors que je travaille plus aux ciseaux, dans une optique de coiffure homme intemporelle. Il faut qu’ils apprennent mes méthodes. » Surtout, c’est humainement et psychologiquement que les choses peuvent être encore plus difficiles. Car ces jeunes ont vécu des épreuves, parfois inimaginables. Et puis c’est un choc culturel, il faut vouloir s’intégrer vraiment, apprendre la langue…

« Je pose un cadre, d’entrée de jeu, précise Thierry. Il faut qu’on respecte les mêmes valeurs. » Ce sont déjà 7 ou 8 jeunes hommes d’origine étrangère qui ont été formés chez Thierry. Certains qui y restent, d’autres qui prennent leur envol, et que Thierry aide à s’installer. L’un d’entre eux est même devenu un associé, dans le cadre d’un troisième salon « Les Hommes ont la Classe » ouvert l’année dernière dans l’agglomération paloise, à Lescar. C’est Rawa.

 

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Rawa, le rescapé kurde, au salon © Les Hommes ont la Classe

 

Egalement Irakien, et réfugié politique, Rawa est Kurde, et il a une histoire encore plus douloureuse. Il est arrivé en France seul, en 2016, il a perdu toute sa famille. Son père a été tué par les troupes de Saddam Hussein. Lui-même a été capturé et torturé, dans le cadre de l’épuration ethnique des kurdes en Irak. Il a réussi à s’échapper, il est parti avec un passeur. Il a traversé, à pied, les montagnes turques, sans vêtements décents. C’est un survivant. Arrivé dans le Nord de la France, son foyer a contacté Thierry… 6 ans après, il est patron et associé d’un salon de coiffure pour hommes.

 

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© Les Hommes ont la Classe

 

Thierry en a vu passer, des profils aux itinéraires jalonnés d'horreurs. Et des cas de résilience extrême, de volonté hors du commun. Et on peut comprendre qu’il soit parfois un peu désabusé face à de jeunes Français qui n’ont pas conscience de leur chance de vivre ici. Du privilège de pouvoir apprendre, et travailler. Pour certains, c’est un luxe… Il y a aussi ce jeune Sénégalais qui a mis 3 ans pour venir, à pied, en traversant le Sahara, la Libye. « Il travaillait chez moi uniquement avec la lame dans la main, sans rasoir. Il avait appris à travailler comme ça, sur la route », se souvient Thierry.

Chez Thierry ou ailleurs...

Aujourd’hui, ce jeune homme est installé à son compte, à Marseille. En tout, c’est une quarantaine de jeunes étrangers qui sont passés par Thierry, mais pas forcément pour faire de la coiffure. Fort de son réseau dans le sud, il les a aussi orientés vers des amis boulangers, électriciens… Tant le problème de recrutement en France est notoire dans tout l’artisanat.

Quid des jeunes femmes ? « Si on m’en envoyait, je les accueillerais à bras ouverts », répond le coiffeur béarnais. Mon article n’ira sans doute pas jusqu’à elles, mais si de jeunes – ou moins jeunes – Afghanes ou Iraniennes parvenaient à s’échapper de l'enfer, qu’elles sachent qu’en France, il y aurait du travail pour elles. Et de la considération.

27/01/25

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