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Sarah Pavlovski, pour l'amour des boucles

Sarah Pavlovski n’est pas une inconnue pour moi. Je l’ai rencontrée il y a une petite dizaine d’années, alors qu’elle participait au concours Jeunes Talents de la Centrale des artisans coiffeurs (CAC), au Luxembourg, début 2012. Je faisais partie du jury, j’avais été bluffée par son travail, et je l’avais « poussée » de toutes mes forces avec la subtilité qui me caractérise quand je suis membre d’un jury… Elle avait remporté le concours.

D’un naturel timide, elle avait dû monter sur scène avec une douzaine d’autres candidats, pour réaliser sa coiffure, « en live », en 10 minutes chrono. Epreuve du feu et expérience formatrice, quelque temps après l'événement, on lui avait proposé d’intégrer l’équipe de formation de la CAC, Cyléa Formations. Mais Sarah, qui avait ouvert son propre salon au printemps 2011, ne se sentait pas prête. 9 mois plus tard, elle a dit oui.

A la tête de son salon à 24 ans

A la tête de son salon, L’Atelier, à La Fère, petite ville de 8000 habitants, dans l’Aisne, formatrice pour un des distributeurs professionnels de référence, la jeune femme, à à peine 26 ans, n’a pas vraiment chômé. Curieuse, et consciente du temps dont elle disposait, puisque les études de coiffure commencent tôt, après la 3ème, la jeune femme a également décroché tous les diplômes nécessaires à une approche globale du métier : CAP, bien sûr, Brevet Professionnel styliste-visagiste, puis Brevet Professionnel coloriste-permanentiste, et puis, tant qu’à faire, Brevet de Maîtrise (en cours du soir).

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Sur le shooting de la collection "Gold" © D.R.

 

Il faut dire que, si elle n’avait aucun coiffeur dans sa famille, elle a toujours « aimé la matière cheveux » : « Dès 4/5 ans, je coiffais ma grand-mère. J’adorais ses cheveux longs. Je les lui emmêlais au moins autant que je les lui démêlais ! »

Enfant adoptée, seule dans sa famille à avoir les cheveux métisses, la jeune femme a été confrontée très tôt à un problème de coiffage aigu, personne ne sachant vraiment s’occuper de ses cheveux, ni parmi ses proches, ni même dans les salons de coiffure traditionnels. « Il y a 30 ans, on ne savait pas coiffer les cheveux afro ou métisses. J’ai dû porter les cheveux très courts, on me prenait pour un petit garçon, c’est un vrai traumatisme d’enfance. Résultat, j’ai su très jeune que j’allais être coiffeuse : puisque personne ne "savait" faire, j’allais le faire moi-même ! »

Le cheveu bouclé ignoré par le marché

A l’heure de l’adolescence, cette « problématique cheveux » la fragilise : « Je ne me sentais pas bien dans ma peau, je n’avais toujours le choix qu’entre cheveux lisses ou cheveux courts. Jeune femme, j’ai passé des années avec les cheveux attachés, à faire des brushings… J’ai caché mes cheveux comme toute une génération, dans les années 2000. Il y avait un vrai problème de connaissance de ce type de cheveux, il n’y avait pas de réponse sur le marché, pas de produit. Et puis, les cheveux bouclés n’étaient pas considérés comme beaux. C’était "rigolo" (!), au mieux, "mignon"… »

Après la décennie des années 80, des permanentes, des stars aux cheveux bouclés, voire frisés (Jennifer Beals dans « Flashdance », Jennifer Grey dans « Dirty Dancing »…), ça y est, la boucle « caucasienne » est tombée dans l’oubli, voire le mépris. Que dire, alors, des cheveux afro et métisses…

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Collection "Phantasmes" pour Cyléa /CAC, 2015. Avec Benjamin Couty. DA : Jacques Thill. © Yves Kortum

 

Sarah s’oriente donc dans la filière coiffure, avec le soutien de sa famille, ce qui n’est pas toujours le cas. « J’ai eu la chance d’avoir une maman qui m’a dit : "Tant que tu travailles, tu feras ce que tu veux." Elle m’a aidé à faire mes CV, j’ai fait du porte à porte dans tous les salons de ma ville, Soissons, j’ai trouvé un salon qui était au complet mais qui m’a acceptée pour les vacances : il avait déjà 3 apprentis et 10 salariés ! »

Expériences en franchise, chez des indépendants…

Surtout, le patron de ce salon était sensible à la problématique des cheveux métisses, il a développé un service dédié, c’était un précurseur. « Je me suis littéralement installée dans le salon, se rappelle Sarah, j’allais y travailler tous les samedis. Il a fini par me faire un contrat ! »

Après 5 années d’apprentissage intense dans ce salon indépendant de Soissons, Sarah travaille un an en franchise, dans un salon Jean Louis David. Et, si ça ne lui a au final pas convenu, elle ne rejette pas tout en bloc : « C’était une expérience intéressante. J’y ai appris à travailler plus vite et à être rentable, par rapport à un salon où chacun développe sa propre méthode… » 

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Sarah développe sa méthode : coiffage de tous les types de cheveux, après écoute et travail sur les motivations de la cliente © D.R.

 

Ensuite, Sarah trouve une place dans un salon en galerie marchande, puis dans un salon indépendant dont elle devient la manager. Elle a besoin d’acquérir de la confiance, d’apprendre à gérer une entreprise. Puis elle se lance, donc, à Fère, « petite ville où personne ne s’arrête ». Ses proches, inquiets, préféraient qu’elle n’investisse pas dans un trop gros salon… Elle change l’enseigne, refait tout, choisit une déco « industrielle », applique des méthodes de travail plus modernes… et perd énormément de clientes.  5 ans après, le salon fonctionne.

Un salon appartement à Paris

Elle passe le concours de la CAC, devient formatrice, développe son salon, puis s’envole pour Paris. Elle y fait un peu de domicile haut de gamme (avec The reporthair), puis cherche à se poser. Elle rêve d’un salon appartement, d’un espace de co-working, au cœur de Paris… et elle rencontre par hasard Alexandre Cruzel (ancien directeur artistique de Toni&Guy France, co-fondateur de Didact), qui ouvre fin 2019 un salon appartement rue Montorgueil !

Elle y commence début janvier 2020, le salon trouve ses marques… avant d’être brisé dans son élan par le 1er confinement, puis par le 2ème. Ce qui n’entame pas son optimisme ou, plutôt, sa façon calme et posée de voir les choses. « Alex et moi, nous sommes indépendants. Nous avons des aides. Nous avons une bonne trésorerie, on a travaillé 7 jours sur 7 tous ces derniers mois… Nous n’avons pas de salariés. Pour le moment, nous ne nous sentons pas en danger.

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Le salon de Sarah Pavloski et Alexandre Cruzel, au 24 rue Montorgueil, à Paris © D.R.

 

Un esprit zen qui découle d’une vision globale et cohérente, à laquelle se rattache justement le salon discret installé au 24, rue Montorgueil. C’est un salon qui cultive le bien-être, le calme, le temps de faire les choses correctement… tout en ayant la capacité de répondre à toutes les demandes, de prendre soin de tous les types de cheveux.

Le credo du salon « pour toutes les femmes »

« Les femmes devraient avoir la possibilité de se faire coiffer quel que soit leur type de cheveux, sans vivre la frustration du refus par "manque" de connaissance du coiffeur. Pour autant, je fais le choix de ne pas afficher ‘’afro’’, parce que je m'ouvre à tous les types de cheveux, mais aussi parce que je ne proposerai pas certains services que l'on attend souvent d'un salon afro : défrisage, tissage etc...

Je préfère travailler la mise en valeur du cheveu dans son état naturel : si je dois réaliser une transformation de matière, je préférerai un lissage organique plus doux et plus respectueux du cheveu, et à condition d'avoir pris le temps de bien comprendre les motivations de ma cliente en amont. » (Voir aussi l’article : Une grande envie de naturel)

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Le salon de Sarah Pavloski et Alexandre Cruzel, au 24 rue Montorgueil, à Paris © D.R.

 

Bref, le 24 Montorgueil s’inscrit résolument dans l’air du temps, cette envie de manger et de consommer plus sainement, peut-être plus lentement, aussi, de développer des façons de travailler moins stressantes, et d’accepter de payer plus cher ce qui a plus de valeur.

Zen et multi-casquette

« On a du temps, on s’occupe d’une seule cliente à la fois : les femmes viennent pour ça, elles veulent qu’on prenne soin d’elles. La coupe prend 1 heure, mais elle dure dans le temps, notamment pour les cheveux bouclés. Nous avons gardé cette philosophie même lors du déconfinement, en mai-juin derniers : il y a du tumulte partout, nous n’allons pas le reproduire chez nous. »

Sarah Pavlovski, qui est aussi ambassadrice de la marque italienne Alter Ego, naturelle et éco-responsable, distribuée en France par la CAC, a la chance de pouvoir suivre les sessions de formation de coupe données à Londres par le grand Leonardo Rizzo (directeur artistique Alter Ego Italie). Avec son équipe photo, elle a aussi lancé « La Prod », un collectif qui accompagne les coiffeurs dans le développement de leur identité visuelle.

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Elle qui mène de front plusieurs activités (salon, formation, ambassadrice, coaching image…) et qui a déjà presque 20 ans de carrière derrière elle (comme la plupart de ses confrères, elle a commencé tôt) ne donne pour autant pas l’impression de se mettre sous pression. Et prend aussi le temps de « chiller » comme elle dit, ou de réfléchir à ses priorités. Un petit bout de femme inspirant à plus d’un titre !

https://sarah-pavlovski.com

26/11/20

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