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Recrutement : quelles solutions ?

Il manque aujourd’hui entre 10 000 et 12 000 collaborateurs dans les salons de coiffure en France, tous types de salons confondus (indépendants comme franchisés). C’est un secret de Polichinelle : le secteur n’attire plus. On a beaucoup accusé la période de la pandémie, un moment crucial où, pendant les deux premiers confinements, les coiffeurs ont été renvoyés chez eux car leurs établissements, d’abord considérés comme « non essentiels », avaient dû fermer. Même si la situation a changé pour le 3ème confinement, en avril 2021 (les coiffeurs étant redevenus « essentiels »), le « mal » était fait : certains ont réalisé à quel point leur métier était prenant, usant, comme il était bon d’avoir un peu de temps pour soi, sa famille, ses amis… Beaucoup ont décidé de se reconvertir et de changer de secteur, ou bien de s’établir en tant qu’auto-entrepreneur ou free-lance pour décider de ses horaires.

Classiquement, on impute en effet les difficultés de recrutement de la coiffure à plusieurs facteurs, dont deux éléments-clés : le (trop) bas niveau des salaires, et des conditions de travail difficiles (station debout quasiment toute la journée, horaires de travail qui débordent en soirée, travail le samedi…), et d’autant plus difficiles que, précisément, il n’y a pas, ou pas assez, de compensation financière. De fait, le problème était là bien avant la pandémie.

Des offres d'emplois pléthoriques

On le sait, le secteur coiffure est structurellement déséquilibré en faveur des demandeurs d’emploi lesquels, pendant des décennies, ont toujours un peu « fait la loi », puisqu’ils pouvaient changer de salon comme ils voulaient, ils trouveraient toujours, et facilement, un autre poste… Mais pourquoi changeaient-ils si souvent de salons ? Peut-être aurait-il fallu se poser un peu plus tôt la question des conditions de travail, surtout au regard des salaires de la profession (et de sa convention collective).

La question du nombre d’établissements dans notre pays est également un sujet-clé, et on le sait depuis le rapport Attali (2007), quand l’énarque a voulu « déréglementer » le secteur coiffure, qui n’en avait pas besoin : la suppression de l’obligation du BP à l’ouverture n’est sûrement pas la direction à prendre, puisque l’idée n’est pas de de faciliter la création d’entreprises, mais bien plutôt d’aider les entreprises existantes à trouver des collaborateurs !

 

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Depuis quelques années, la situation s’est indéniablement aggravée, sous le double effet de la pandémie et des confinements successifs, donc, mais aussi de l’arrivée sur le marché de la fameuse génération Z. Comme on l’a dit, la crise sanitaire a laissé entrevoir à nombre de coiffeur(se)s qu’on pouvait peut-être travailler, et même vivre, autrement…

Quant à la génération Z (née entre 1995 et 2010), elle projette de toute façon un regard radicalement différent sur le métier, et plus globalement, sur l’articulation entre les sphères pro et perso. C’est un phénomène qui concerne toutes les sphères économiques, mais en particulier les métiers de l’artisanat, très exigeants en temps, en énergie et en investissement personnel. Cette génération n’est plus prête à endurer ce que ses aînés avaient considéré comme normal, et inhérent à la coiffure, comme le fait de travailler le samedi et tard le soir, de ne pas avoir le temps de manger, de ne pas toujours être très bien traité, le tout pour un salaire très insuffisant.

Une génération qui bouscule les codes

Pour nombre d’employeurs coiffeurs, et ce n’est évidemment pas de la paranoïa, tout se passe comme si, soudainement, on inversait radicalement le sens des priorités : au lieu de tout donner à son travail (temps, énergie, relations sociales…), on organise sa vie perso et on décide de caler le travail dans ce qui reste : la journée (mais pas trop le soir), la semaine (et pas le week-end). Et, au passage, on décide aussi de son salaire… Le plus souvent sans avoir bien sûr la moindre notion de ce qu’il faut rapporter à l’entreprise pour qu’elle puisse octroyer ce type de rémunération.

 

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Plusieurs pistes s’offrent alors aux employeurs : expliquer ce qu’est un salaire, comment il se fixe, et… négocier avec le candidat un montant jouable pour les deux parties (et l’équilibre économique du salon). En parallèle, écouter les demandes des candidats en termes de conditions de travail, de management, et introduire un peu de souplesse dans des pratiques souvent figées depuis des années (et pas forcément dans le bon sens). Enfin, si on ne s’en sent vraiment pas capable, si on n’a pas le temps ou si la motivation finit par manquer, après une recherche vaine et usante, on peut aussi déléguer le recrutement. Car recruter, c’est un vrai métier, et une vraie compétence.

Faire preuve de pédagogie sur les salaires

Sur la question du salaire, le consultant Jean-Christophe Robelot (à la tête de 9 salons et 57 collaborateurs en Bourgogne / Franche-Comté ) a une méthode toute personnelle pour contrer les demandes objectivement excessives des jeunes candidats. Au lieu de leur fermer purement et simplement la porte (et de se priver lui-même d’une perspective d’embauche), il la laisse entrouverte… et leur laisse même la possibilité d’y glisser un pied. Il joue la pédagogie, et le compromis. « Mon jeune BP, en salon homme, exigeait un salaire entre 2000 et 2200 euros nets. Je ne lui ai pas dit non, je lui ai demandé s’il savait quel chiffre d’affaires il fallait faire pour pouvoir avoir un tel salaire. Il m’a dit oui. Je lui ai sorti ses chiffres, et on a calculé son salaire ensemble. Il était en-dessous de ses prétentions, mais je lui ai indiqué qu’il y avait aussi des bonus à la revente, sur les abonnements homme souscrits, etc. ».

Objectif : stimuler plutôt que décourager. Aider le jeune candidat à prendre conscience du réalisme de sa demande… ou pas. Le laisser « patauger » un peu, jusqu’à ce qu’il comprenne par lui-même. Dans cet exemple, le jeune travaillait déjà au salon, les chiffres étaient disponibles… Il a compris qu’il ne faisait pas le chiffre d’affaires nécessaire. Pas encore, en tout cas. Jean-Christophe Robelot l’a responsabilisé, et donc valorisé, en lui demandant : « Alors, on signe, ou pas ? ». Il lui a dit : « On part pour 3 mois, et je te donne la différence. » En gros, sur 3 mois, il parie sur ce jeune. Evidemment, tous les chefs d’entreprise ne peuvent pas se permettre ça. Mais ils peuvent au moins s’inspirer de cette pédagogie, teintée de fausse naïveté : « Ah oui, tu souhaites tel salaire ? Tu penses faire tel chiffre d’affaires ?... »

 

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« Si je m’étais fâché avec ce jeune, conclut Jean-Christophe, je l’aurais perdu. Alors que j’ai passé 4 ans à le former. » Pour le consultant, il y a aussi une autre raison qui l’amène à discuter, à négocier : c’est qu’il pense qu’il faut offrir un salaire minimum à ses employés, celui qui leur donne les moyens de vivre décemment. Pour lui, il faut proposer au minimum 1700 / 1800 euros. « Ceux qui disent qu’ils ne peuvent pas, c’est qu’ils ont un problème de rentabilité. »

L’une des clés du problème, et ça tout le monde le sait aussi, c’est qu’il y a beaucoup trop de salons en France, et beaucoup trop qui « vivotent » : sur 100 000 établissements de coiffure en France, 70 000 environ sont des salons (les autres sont free-lance, micro-entrepreneurs, soit un quart de « coiffeurs à domicile »). Et 60% de ces salons n’emploient aucun salarié (et la grande majorité d’entre eux ne sont pas positionnés haut de gamme, le concept du petit salon « premium », c’est autre chose). A titre de comparaison, en Angleterre, on ne compte « que » 30 000 salons, et ceux-ci gagnent bien mieux leur vie.

Au final, le consultant insiste pour que la question du salaire ne soit pas taboue. Il faut se la réapproprier, discuter, faire comprendre qu’elle dépend d’un chiffre d’affaires, que ce ne sera pas facile… mais pas forcément impossible. Il faut confronter le candidat à son ambition. Non seulement le salaire n’est pas tabou, mais il n’est peut-être pas aussi déterminant que les employeurs le pensent.

Les valeurs de l'entreprise

On sait en effet que la génération Z est très sensible aux valeurs véhiculées par l’entreprise, au sens de son travail, à la qualité de son environnement professionnel, à l’organisation des relations hiérarchiques. Ces jeunes n’ont plus forcément les mêmes priorités que leurs aînés. Ils peuvent paraître exigeants côté salaires de prime abord, mais ils peuvent aussi rabattre leurs prétentions lorsqu’ils comprennent que leur demande est disproportionnée. En revanche, ils lâcheront beaucoup moins facilement sur leurs conditions de travail, et l’articulation entre vie pro et vie privée. Un peu dommage de passer à côté de quelqu’un pour un mercredi ou un samedi…

 

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Amandine Lainé est à la tête de la société Allure Recrutement qui embauche pour ses clients salons indépendants ou franchisés. Elle-même a commencé en tant que coiffeuse, à 18 ans, avant d’être recrutée par un grand groupe de coiffure et de devenir manager. Après 10 années de coiffure, elle a fait une pause pour approfondir ses compétences en ressources humaines. Après une licence RH et quelques années dans des cabinets de recrutement généralistes, elle décide de revenir dans le secteur de la beauté pour se mettre au service des salons et des instituts.

« Pendant trop longtemps on n’a pas assez considéré les salariés, dans la coiffure, explique-t-elle. Les employeurs n’étaient pas assez à l’écoute. Or aujourd’hui les patrons ne sont plus seulement coiffeurs, ils doivent aussi être managers, et recruteurs. Ce qui signifie qu’il faut essayer d’écouter ses employés, leurs ressentis, d’évaluer leur niveau de progression, à travers un entretien individuel mensuel, par exemple. Peu de mes clients le font… Les coiffeurs sont toujours speed, ils ne prennent pas le temps. De l’autre côté, les salariés savent que le rapport de force joue pour eux, et ils n’hésitent pas à faire monter les enchères. » Méconnaissance de ses responsabilités en tant qu’employeur, contre exigences parfois exagérées des postulants : on peut vite arriver à une impasse, entre maladresse, mauvaise foi et intransigeance.

Réajuster les exigences de part et d'autre

Sur la question des salaires exigés, certains se découragent, et cèdent, au détriment de leur société. Alors qu’il faudrait davantage jouer la psychologie (on l’a vu plus haut) et surtout se caler sur un ensemble de conditions de travail intéressantes plutôt que sur la seule question de la rémunération, détachée du reste. « Il y a un réajustement à faire des deux côtés, souligne Amandine Lainé. Oui, il est normal de faire des roulements, tous les salariés ne sont peut-être pas obligés de finir à 19h. Ni de travailler tous les samedis. Oui, on peut avoir une heure de pause déjeuner. Oui, on peut avoir un vrai lieu de repos. Oui, on peut peut-être terminer une fois à 16h ou 17h dans la semaine…

 

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D’un autre côté, évidemment, il ne faut pas que les salariés abusent de leur pouvoir dans le contexte actuel de manque de personnel. Ils doivent aussi essayer de se mettre à la place des employeurs. Et se dire qu’ils ne peuvent pas gagner 2000 euros nets en 4 jours ! Les patrons payent des charges sur leurs salaires, il y a aussi les charges fixes. Et c’est seulement une fois que tout cela est payé que le salon commence à gagner de l’argent… Et de conclure : Je refuse de croire qu’il n’y a plus de passionnés dans la coiffure ! »

Plus de pédagogie, plus de dialogue, et surtout plus de compromis, de part et d’autre : ce serait la clé d’un recrutement qui aboutit, et dans lequel tout le monde est satisfait ? « Pour un candidat, et encore plus pour un candidat de la génération Z, il faut trouver des avantages à intégrer cette société plus qu’une autre. Et d’un autre côté, quand on recrute, il faut arrêter de chercher le mouton à 5 pattes. Bien sûr, on rêve tous du coiffeur polyvalent, ou de celui ou celle qui a déjà un bon niveau. Mais il vaut mieux accepter quelqu’un qui n’a pas exactement les compétences que l’on souhaiterait, et le former pendant 4 à 6 mois. Aujourd’hui, il faut privilégier le savoir-être, et recruter sur le plan de l’humain, en cherchant quelqu’un qui a les valeurs et les codes du salon. Tout le reste s’acquiert. »

...et miser sur des personnes

Miser davantage sur les qualités humaines, les fameux « soft skills » ? Beaucoup de patron(ne)s l’ont déjà mis en pratique, avec succès. En se concentrant sur ce qui prime pour eux : assiduité, passion, curiosité, soif d’apprendre, et/ou encore esprit d’équipe, respect, politesse… A chaque salon de déterminer ce qui sera pour lui non négociable.

 

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Une ouverture d’esprit qui aboutit aussi à plus d’inclusivité, même si la notion est parfois usée jusqu’à la corde, à plus de tolérance en tout cas, l’essentiel étant de converger, tous, vers un même but : celui de développer une entreprise dans des conditions optimales pour chacun. Dans ce cadre, formation et transmission des compétences sont essentielles, c’est même un investissement : « On peut former quand c’est calme, au salon, et mettre à profit ces ‘’temps morts’’, propose ainsi Amandine Lainé, comme bien d’autres l’ont fait avant elle. Ce ne sont pas les propositions de formation, digitales ou non, qui manquent aujourd’hui…

Parmi les valeurs que cette génération bouscule parfois aussi, il y a le fameux CDI. Ce type de contrat semble beaucoup moins essentiel à nombre d’entre eux. Le CDD, sa souplesse, peut très bien leur convenir. Il faut donc constamment ajuster les codes de l’employeur(se) au moment du recrutement...

Le fonctionnement de la génération Z

Stéphanie Bozonnet, coiffeuse passionnée aujourd’hui à la tête du Laboratoire d’Application et d’Education, s’est particulièrement intéressée aux valeurs et qualités de cette génération souvent décriée, et compliquée à appréhender pour pas mal de chefs d’entreprise (dans la coiffure, profession particulièrement jeune, mais également dans de nombreux autres secteurs).

 

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Ancienne directrice pédagogique du CFA94 (où elle a introduit le BTS Métiers de la coiffure), puis de Real Campus par L’Oréal (où elle a lancé le Bachelor Coiffure & Entrepreneuriat), elle répertorie différentes valeurs fortes pour ces jeunes (ou nombre d’entre eux) : l’indépendance (d’où le succès des espaces de coworking, comme l’explosion des free lance, qui représentent plus d’un quart des coiffeurs aujourd’hui et ont complètement revisité et réhabilité la notion souvent méprisée de « coiffeur(se) à domicile ») ; l’engagement en faveur de l’inclusivité, de l’éco-responsabilité ; la communication digitale ; la sensibilité aux marque innovantes ; et enfin la souplesse quant à leur contrat de travail : dans un monde très instable, le chômage fait moins peur et peut aussi leur permettre de rebondir, et donc quasiment apparaître comme une opportunité... Par ailleurs, nombre d’entre eux privilégieront de toute façon le sens de leur travail à sa durée.

Faire bouger la formation

Face à la chute des effectifs dans les CFA et lycées professionnels coiffure, Stéphanie Bozonnet cherche aussi à imaginer les évolutions qu’il faudrait mettre en œuvre en amont, c’est-à-dire dès la scolarité. Finalement, « écoles et maîtres d’apprentissage, tout le monde se renvoie un peu la balle sur la question de l’attractivité du secteur, souligne-t-elle. Personne ne fait rêver les jeunes, on ne leur dit jamais qu’ils peuvent faire une grande carrière. » Certes, Stéphanie rêve grand en osant la comparaison avec certaines grandes écoles : « A HEC, réussir, c’est la norme. Les jeunes sont exposés à l’ambition, se constituent un réseau précieux, et ont des garanties en termes de salaires à la sortie de l’école. » Et pourquoi pas ? Elle insiste sur la nécessité, pour les écoles, d’oser les projets, la vie étudiante, des formations innovantes, de forts partenariats avec les entreprises… Bref, face à des jeunes de plus en plus exigeants, la formation doit s’enrichir.

Certes le CAP Coiffure est unanimement déconsidéré et n’a plus beaucoup de valeur aux yeux des employeurs, et la question des référentiels des diplômes coiffure reste un sujet à faire évoluer rapidement. Mais en attendant, toutes les initiatives audacieuses sont bonnes à prendre, en termes d’enseignement, de management, de communication et de recrutement pour surmonter une situation qui hypothèque gravement l’avenir de la profession.

Ainsi, sur la question du recrutement, la plateforme de mise en relation entre pros Escobe (Prix de l’innovation digitale MCB 2021) vient de rajouter une fonctionnalité à son appli, qui pourrait contribuer, aussi, à aider les salons. Initialement prévue pour faire « matcher » les propositions des salons, instituts ou espaces de coworking avec les disponibilités (et envies) des free lance, dans le cadre de missions ponctuelles, l’appli permet aussi, désormais, de faciliter le rapprochement pour des embauches plus classiques, toujours en fonction du secteur géographique, du type de salon et de réalisations… Reste ensuite à réaliser un entretien d’embauche… « en vrai ».

Le secteur est en effervescence, et aussi en mutation. Entre les multiples initiatives et prises de conscience évoquées, et la réduction annoncée du nombre des salons (la crise du Covid, là aussi, n’a fait qu’accélérer un processus en cours), il y a fort à parier que ceux qui auront résisté tireront mieux leur épingle du jeu… parce que, mécaniquement, ils auront pris de la valeur et que les offres d’emploi auront diminué. Pendant ce temps-là, la gen Z aura certainement grandi et… mûri. Blague à part, et en dehors des clichés entre méchants patrons et jeunesse irresponsable, le secteur est confronté à une crise dont il va forcément sortir, car tout le monde est à pied d’œuvre. Alors, courage !

26/10/23

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