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Quand la crise réhabilite les coiffeurs...

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Cela commence à se voir, sur les réseaux sociaux, bien sûr, mais aussi, plus surprenants, dans la presse grand public classique, voire politique (!) : contrairement à ce qu’on aurait pu penser, ce n’est pas parce que leurs salons sont fermés que les coiffeurs ne travaillent plus. En toute logique, ils ne peuvent plus recevoir de clientes (ni aller les coiffer chez elles), ils devraient donc être au chômage technique. Mais ce serait mal les connaître : dans la réalité, les professionnels des cheveux sont toujours très actifs.

Au secours des femmes désemparées

Et ce, à deux niveaux. Tout d’abord, par rapport à leur clientèle. Nous avons tous constaté, et eux les premiers, qu’au bout de quelques jours de confinement, à peine, un certain nombre de femmes commençaient à s’inquiéter de leurs repousses, de leurs longueurs ou de leur frange. Que certaines semblaient désemparées alors que, objectivement, elles vont de moins en moins dans les salons : la fréquentation est tombée à 4 visites par an, et on estime que, pour un entretien de la couleur, elles y vont en majorité tous les 6 à 7 semaines. Parallèlement, on le sait, les cheveux ne poussent que d’environ 1 cm par mois…

Il y a donc une large part d’irrationnel et de ressenti dans leur crainte, mais c’est précisément cela qui est touchant, et même, intéressant : si les femmes vont moins dans les salons, leur lien avec le coiffeur reste très solide. Et, finalement, ce sont peut-être les coiffeurs qui en avaient le moins conscience : ils se découvrent aujourd’hui beaucoup plus indispensables qu’ils ne le pensaient.

Tuto simples, visio-conférences et livraisons express

Résultat, faisant fi de leurs réserves habituelles, certains ont commencé, quasiment dès le début du confinement, à venir au secours de leurs clientes désemparées. Tutos en ligne, possibilités de « visio » pour les clientes qui le souhaitent, comme une « hotline » du service coiffure, interviews pour les magazines : les coiffeurs donnent leurs conseils aux femmes pour qu’elles puissent faire le minimum pour rester jolies et bien coiffées (on a bien dit « le minimum » : il ne s’agit pas de se substituer à eux, chacun son métier, mais de limiter les dégâts, et de donner un coup de pouce).

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La liste est loin d’être exhaustive, mais on a ainsi noté le tuto, très simple mais efficace, de la coiffeuse Delphine Courteille sur Instagram (repris par Glamour et L’Express Style), les conseils et les possibilités de visio-conférences par Skype ou FaceTime de Christophe-Nicolas Biot, le service mail de questions-réponses du salon Avant-garde de Cyrill Hohl au Luxembourg, les dépannages en produits de beaucoup de coiffeurs...

Et notamment de coloristes, qui grâce à leur fichier clientes, connaissent précisément les références de leur coloration : Christophe-Nicolas Biot, donc, mais aussi Rodolphe qui de son propre aveu est devenu « un intime du personnel de la Poste », qui réalise des rendez-vous Messenger à la demande et a aussi été contacté par RTL et le très sérieux magazine Marianne pour des conseils « kit couleur spécial confinement » !

Pour les femmes comme pour les hommes

Quant au coiffeur Franck Fallea, basé à Metz, c’est le journal Le Républicain Lorrain qui a mis en lumière son initiative de « tuto live », trois fois par semaine, via WhatsApp ou FaceTime, pour les clients qui le souhaitent. Et notamment pour les hommes, car l’idée lui est précisément venue en dirigeant en visio un ami qui voulait entretenir sa coupe. Car les hommes, on aurait presque tendance à oublier, ont peut-être le stress capillaire plus discret que leurs compagnes, mais ils viennent plus régulièrement, coupes plus courtes obligent !

Une question de beauté mais aussi de symbolique

Au final, si les coiffeurs commencent à prendre davantage conscience de leur valeur, c’est par ricochet un peu toute la société qui le fait aussi, sur un mode certes souvent humoristique – les blagues sur les chevelus, le retour possible du mulet pour les hommes, la disparition probable des blondes pour les femmes, etc. – mais qui n’en cache pas moins une vraie réalité. Le « poil », finalement, c’est de la beauté, mais c’est aussi du symbolique, des enjeux de culture et de civilisation, bref… du lourd !

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Un visuel, sur Twitter : la hantise des femmes...

 

Preuve en est qu’aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les magazines féminins qui font des articles type « Comment va-t-on faire sans notre coiffeur ? », mais aussi des titres très sérieux comme le magazine politique Marianne, qui a récemment sorti un article intitulé : « Confinement : l'angoissante question de la coloration de vos cheveux » (l’ironie se limitant au titre).

Le Républicain Lorrain a aussi relaté, on l’a vu, l’initiative de « télé-coiffage » de Franck Fallea, tandis que Le Midi Libre a proposé « Cinq tuto pour apprendre à couper ses cheveux soi-même », avec des conseils de coiffeurs (Olivier Schawalder pour les cheveux bouclés, Bianca Gover pour la frange, Karis Formations pour les coupes enfants). 

Les coiffeurs plus forts que les Instagrameuses

Et c’est un nouvel enseignement de cette crise : on réalise finalement que ce sont les coiffeurs qui sont quand même les mieux placés pour donner des conseils coupe ou couleur. Cela pourrait paraître évident mais, jusqu’à récemment, ça ne l’était pas complètement… Les Instagrameuses sont assez absentes sur le sujet, et sont les premières à se demander comment elles vont faire (Noholita, célèbre pour son blond quasi blanc, répondait ainsi à une followeuse qui lui demandait des conseils sur le sujet que… c’était son coiffeur qui s’occupait de ça !) Un juste retour des choses…

Il faut aussi balayer le soupçon « de faire de la com’ », pour les coiffeurs : la plupart des coiffeurs cités sont souvent déjà connus, au niveau national comme au niveau local, et n’ont pas besoin de donner leurs conseils en ligne pour qu’on parle d’eux… Et, connus ou pas, dans tous les cas, leur réflexe de venir en aide à leurs clientes (pour ne pas avoir à réparer d’éventuels dégâts après le confinement…) est assez logique, sans parler de l’empathie qui explique précisément la force de leur lien avec leurs clientes, évoqué plus haut.

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Ou ne toucher à rien… et faire des soins

A l’opposé, d’autres demandent à leurs clients de, surtout, « ne toucher à rien » (Thierry Bordenave, pour le salon Les hommes ont la classe, interviewé par Sud Ouest). Les interventions d'Aline Legoupil ou d'Anthony Galifot au Journal de TF1, d'Eve Briat sur Europe 1 allaient aussi dans ce sens, Anthony Galifot suggérant d'en profiter pour hydrater cheveux et barbe, par exemple...

Les deux options se défendent, mais les femmes et les hommes se rendront de toute façon bien vite compte de leurs limites, par rapport à un pro. Là où tout le monde se rejoint, en revanche, c’est sur la possibilité (et même, l’opportunité historique !) de ralentir, et de prendre le temps de faire des soins profonds (masques, huiles…) ou de réapprendre à faire correctement un brushing ou un lissage.

Surtout, le fait même que les journalistes de la presse régionale, de la télévision ou de la radio se (re)tournent vers les coiffeurs pour leur demander ce qu'il faut faire, ou ne pas faire, est en soi une petite révolution...

Mais les coiffeurs se forment aussi entre eux. Confinés, sur têtes malléables, avec des moyens de fortune, ils réalisent des vidéos sans prétention pour leurs confrères, diffusées sur les réseaux sociaux ou sur YouTube. Ou remettent en avant des vidéos plus anciennes.

Formation et entraînements

Des vidéos qui sont aussi, sans doute, un prétexte pour continuer à pratiquer, tant les coiffeurs sont accro à leur métier. Difficile de les citer tous, mais on peut noter les initiatives d’Aline Legoupil, de Cathy Batit, de Jacques Fournillon pour Intercoiffure, de Loris Hug, de DKhairdesigner, de l'Institut Graziella Debousse, Thierry Bordenave et de nombreuses marques, en termes de e-learning… A noter, beaucoup d'attaches et de travail sur cheveux longs : « Au départ, c'était pour mon équipe, et les pros - 90% d'entre eux ne font pas d'attaches, précise Aline Legoupil, installée à Caen. Mais mes sœurs m'ont dit que ce serait bien pour les clientes aussi… » Au final, son initiative a été relayée par France 3-Régions. 

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Un tuto d'attaches signé Aline Legoupil, sur Facebook

 

Il y a aussi les équipes ou des coiffeurs qui, à titre individuel, continuent de s’entraîner et de coiffer, pour préparer « l’après », sans nécessairement en faire des vidéos…

Le e-learning qui sera sans doute beaucoup plus utilisé suite à cette période de confinement. La générosité des coiffeurs dans l’utilisation de leur temps saute ainsi aux yeux, dans le prolongement de leur générosité tout court (de nombreux coiffeurs indépendants ont fait don aux pharmacies voisines de leurs stocks de gants et produits désinfectants, comme Franck Provost l’a fait pour tout le groupe Provalliance, l’artiste et coiffeuse Murielle Kabile s’est lancée dans la confection de masques en coton, jean, wax, en auto-financement…).

Nous finirons par surmonter la crise du coronavirus au prix, probablement, d’une grave crise économique. Mais derrière tout ce négatif, on aura repris conscience de la valeur des coiffeurs, et des artisans de proximité en général. Espérons que cette prise de conscience sera durable, et qu’elle aidera à faire pression sur les pouvoirs publics au moment où il faudra les soutenir… et les sauver.

Actualisé le 15 avril 2020

30/03/20

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