Jean-Marc Maniatis : la dernière icône de la coiffure
C’est une fin d’année un peu amère, du point de vue de la mode et de la coiffure. Après la disparition de la grande créatrice britannique Vivienne Westwood, le 29 décembre, c’est un immense coiffeur qui tire sa révérence, le 31 : Jean-Marc Maniatis. Ce n’est un secret pour personne, Jean-Marc était malade depuis longtemps. Mais il s’est battu comme le lion qu’il était. A 80 ans, la nuit de la Saint-Sylvestre, cette icône du métier s’est envolée.
Avec Jean Louis David et Jacques Dessange, il avait révolutionné la profession, dans les années 60 et 70. Coiffeur studio dès 17 ans pour les magazines Elle et Marie Claire, il avait aussi complété sa formation à Londres, auprès de Vidal Sassoon. « Chez Sassoon, on apprenait une méthode, qu’il a adaptée ensuite, avec des séparations, un travail soigné », précise André Delahaigue, qui a travaillé auprès de lui pendant 46 ans, gravissant tous les échelons, d’assistant à bras droit, sur tous les défilés et shootings de magazines, mais aussi en salon.
En 1970, Jean-Marc Maniatis ouvre son salon dans le 16ème arrondissement. Le succès est immédiat. Les mannequins et actrices le suivent. Parallèlement, il est en charge des coiffures sur un grand nombre de défilés, de Karl Lagerfeld à André Courrèges, en passant par Sonia Rykiel, Jean-Charles de Castelbajac, Chloé ou Dorothée Bis. C’est le coiffeur des stars (Alain Delon, Sophie Marceau, Vanessa Paradis...), mais pas seulement. Il est aussi d’une extrême exigence, c’est un perfectionniste qui entraîne ses équipes en formation deux fois par semaine jusqu’à une heure du matin. Et qui est présent à ces formations…
Avec Sylvie Vartan © Roger-Viollet
« Il accordait une attention particulière à la formation du personnel, poursuit André Delahaigue. Il souhaitait apporter la même qualité de coiffure dans les salons que ce qu’il faisait pour les magazines. » Evidemment, le rythme était dur, pour les équipes. Mais il les emmenait, car il avait une vision : avec Jean Louis David et Jacques Dessange, il était, tout simplement, en train de créer le prêt-à-porter de la coiffure, comme le prêt-à-porter Couture était en train de naître, sous l’impulsion d’Yves Saint Laurent.
La révolution des années 70
« C’était un mouvement général, note encore André Delahaigue. Ces trois coiffeurs apportaient un nouveau souffle. Par rapport à ce qui se faisait chez Alexandre de Paris ou Carita, les cheveux étaient libres, ils bougeaient. On envoyait valser les bigoudis, on se libérait des contraintes. Le prêt-à-porter commençait à se développer dans la mode, et parallèlement, dans la musique, les Rolling Stones et les Beatles faisaient aussi souffler un vent de liberté. Dans la coiffure, c’était les cheveux, et la coupe. La coupe, la coupe, la coupe. »
Collection Maniatis Paris 2020 © Laurent Darmon
Dans les années 70, on ne veut plus de brushing. La coiffure tient uniquement par la coupe, un travail de construction précis et rigoureux. Le cheveu doit se (re)placer tout seul. Jean-Marc Maniatis incarne ce renouveau. Chez lui, la coupe tient deux mois. Dans les années 90, il impose la coupe à sec, qui permet de mieux tenir compte de la texture particulière de chaque cheveu, de sa nature (raides ou bouclés, fins ou épais…). En cela, c’est indéniablement un précurseur. Qui travaille aussi avec le fameux « Club des créateurs de beauté », à la même époque. Un catalogue de vente par correspondance de produits cosmétiques branchés (Agnès B., Maniatis…) qui fait fureur auprès des jeunes femmes. Un peu l’ancêtre des e-shops d’aujourd’hui…
Avec Mylène Farmer © D.R.
Passionné, il a su partager l’amour de son métier, et a transmis à ses collaborateurs des valeurs qu’ils continuent de transmettre, encore aujourd’hui, aux nouveaux arrivants. Sa marque, rachetée en 2009 par Franck Provost et le groupe Provalliance, a su garder son âme, sous l’impulsion notamment d’André Delahaigue, son directeur artistique de 2009 à début 2021, mais aussi d’Alexandre Protti, directeurs des 4 salons Maniatis parisiens, grâce à ses 27 ans de maison.
« Plus qu’un coiffeur, Jean-Marc Maniatis était un artiste, affirme ce dernier. Il a su donner un sens à son travail, à notre travail à travers un style précurseur, une véritable exigence dans l’exécution et la transmission de son savoir-faire. Il a créé sa propre méthode de coupe. Il nous laisse en héritage une vraie richesse, celle de sa technique et de ses valeurs, que nous nous engageons à transmettre aux futures générations. » Après plus de 50 ans d’existence, la maison Maniatis, déjà émancipée de son créateur, devrait pouvoir continuer à porter haut les valeurs de la coiffure.