S'abonner à la newsletter

Burn-out : la fin du tabou ?

id-couv-burn-out_gettyimages-1175477992

C’est un fléau qui est peut-être, avec le cancer, le mal de ce début de siècle. Moins visible, plus sournois, très sous-estimé en termes de conséquences, voire ignoré. Mais les choses changent. Y compris chez les coiffeurs qui y sont, à mon sens, particulièrement exposés (voir plus bas). Le burn-out. Si cet épuisement professionnel a longtemps été tabou, il fait aujourd’hui l’objet d’une parole beaucoup plus libérée, avec les formules de « charge mentale » et plus généralement de « santé mentale », passées dans le langage courant.

Souvent, ce sont les mots qui manquent pour exprimer les maux. Dès qu’on les a, et qu’ils sont banalisés, on a davantage la capacité de s’exprimer, on le sait. Pourtant, ces expressions-là atténuent un peu le mal. Le vrai mot, « burn- out », veut dire… brûler. Voilà, on est « cramé », on ne peut plus rien faire, à peine parler, plus de motivation, plus de sens. Mais ça, bien sûr, c’est l’étape finale, quand il faut des mois, voire plus, pour s’en remettre. Tous les états intermédiaires sont à prendre en compte pour éviter, justement, le burn-out complet.

 

mmapro_ouvrir salon coiffure recad 2

 

La période du Covid a sans doute été une période-clé, pour commencer à lever le tabou dans la société en général. Une partie de la population s’est retrouvée chez elle, au chômage forcé, a pu renouer avec un rythme plus équilibré, une vie de famille, des loisirs (tandis qu’une autre partie de la population trimait, avec les enfants sur le dos, dans des appartements exigus, sans échappatoires possibles en termes de sorties, de sports…). Les coiffeurs, « non essentiels », eux, faisaient partie de cette première partie de la population, à la maison pour la première fois de leur vie professionnelle sans doute, au moins pour les 1er et 2ème confinements.

Le retour, passé l’euphorie de la ré-ouverture des salons, a pu être violent. Avec un effet de contraste flagrant avec ces semaines hors-normes, plus légères… Et puis, les réseaux sociaux, qui accélèrent et amplifient tout, charge de travail et émotions, ont également explosé. Chez L’Oréal Professionnel, on a développé le programme de formation « Head Up », pour aider les coiffeurs à « relever la tête », sortir la tête de l’eau, en mai 2023. Mais sa genèse remonte précisément au Covid.

Un programme de formation spécifique

« Nous étions très présents auprès des coiffeurs pendant la pandémie. On leur fournissait toute l’aide qu’on pouvait, se rappelle ainsi Denise Guillouet, en charge du programme Head Up dans l’équipe Education de L’Oréal Professionnel. Nous sommes restés proches par la suite, et nous avons fait le constat de leur charge mentale. Au niveau mondial, nous avons étudié les conversations de 5 millions de coiffeurs pendant 3 ans, sur les réseaux sociaux. Et nous avons pu constater que les problématiques d’anxiété, d’épuisement et de stress étaient récurrentes. » L’Oréal Professionnel a dans la foulée diligenté une étude auprès de 6 pays, et il en est ressorti que 65% des coiffeurs ressentaient les symptômes évoqués au niveau mondial.

 

campagne head up

 

De là l’idée, en tant que leader du marché, d’essayer d’aider les professionnels à alléger leur charge mentale grâce au programme Head Up. D’abord grâce à une e-formation, les Head Up Keys, soit 4 épisodes de 8 minutes disponibles sur la plateforme L’Oréal Access ou sur YouTube, puis depuis 2024, en Master Classes de 4 heures, en présentiel (une dizaine de personnes maximum), avec l’ONG Mental Tech. Des sessions réunissant parfois patron et collaborateurs, pour une remise à plat encore plus approfondie du mode de fonctionnement de l’équipe…

Un problème de limites et de distance

Ce qu’il en ressort, le plus souvent ? Un problème de limites. Les coiffeurs ont du mal à dire non. Ils sont beaucoup (trop) dans l’humain, l’affect et l’empathie. Et ils manquent parfois de la distance nécessaire pour se protéger un peu. « Pendant longtemps, quand j’avais un avis négatif sur Google, ça me rendait malade plusieurs jours, ça m’empêchait de dormir, et j’étais exécrable à la maison, se souvient ainsi la coiffeuse et coloriste Coralie Aumaitre. J’ai fait une thérapie pour arriver à gérer ça mieux. »

       Pendant longtemps, quand j’avais un avis négatif sur Google, ça me rendait malade plusieurs jours. (Coralie Aumaitre)

En moyenne, les coiffeurs passent 2 000 heures par an à écouter leurs clients et à offrir un service qui va au-delà d’une coupe de cheveux ou d'une couleur mais qui tient du lien social et émotionnel, estime-t-on chez L’Oréal Professionnel. Car écouter, c’est parfois encaisser le stress des autres, argumenter, et dans tous les cas, l’échange sincère prend une précieuse énergie. Sans parler des retours sur les réseaux sociaux ou Google... Et puis, les coiffeurs ne prennent pas de temps pour eux. Nombreux sont ceux qui travaillent 6 jours sur 7, ou plus. Et qui préparent leurs outils de communication digitale sur leur journée « off ».

Faire des pauses pour prévenir les coups de stress

Et, même si ça évolue (notamment chez les jeunes), les pauses sont encore souvent mal vues. Or, cette absence de pauses fait partie du problème, en empêchant justement de sortir la tête de l’eau, de prendre la hauteur, de hiérarchiser les priorités, les contraintes, les activités. Et de voir une solution, parfois, se dégager toute seule, juste en prenant le temps d’analyser. En se « (re)posant » 10 minutes. Au cours des Master Class Head Up, les pros sont invités à prendre conscience et à nommer leur mal-être. Quelques pistes sont proposées, pour soulever un peu la chape de plomb du stress. Et stopper le cercle vicieux.

 

toulouse lum recad

Une Master Class Head Up à Toulouse

 

Cela peut paraître simple, et pourtant : enseigner quelques bases de communication non violente. Faire des pauses. Pour manger (oui !). Ou boire un verre d’eau… en entier. Apprendre à respirer profondément, pour désamorcer un coup de stress, aussi. Ces séances se finissent par un atelier yoga, histoire de se reconnecter à soi-même. D’ailleurs le symbole du programme est un mudra, un signe lié à la pratique de méditation pour se recentrer, et qui signifie « espoir » en langage des signes.

Mettre des mots et… en parler

Même si ces Master Classes ne peuvent sans doute pas résoudre le problème en une seule fois, elles peuvent contribuer à la prise de conscience, puis éventuellement à un traitement plus approfondi (suivi chez un psy…). Et, surtout, elles peuvent aider à lever le tabou. « S’il y a un seul message à faire passer, résume ainsi Denise Guillouet, c’est qu’il ne faut pas avoir peur d’en parler. » La parole commence en effet à se libérer, et cela se voit notamment sur les réseaux sociaux. Avec la prise de conscience, d’abord, de la complexité du métier de coiffeur… par les coiffeurs eux-mêmes.

De multiples sources de stress

Qui n’a pas vu passer un de ces posts qui se sont multipliés, dernièrement, sur le thème : « Je ne suis pas que coiffeuse, je suis aussi : chef d’entreprise, coach, manager, psy, formatrice, community manager, artiste… » A compléter... Le métier de coiffeur est très sous-estimé, méprisé encore parfois, même si ça s’améliore, notamment grâce aux nouvelles générations qui ont surinvesti le territoire de l’image et de la communication digitale.  

Ce métier est pourtant très difficile, car l’un des rares à conjuguer des facettes aussi différentes que : la gestion d’une entreprise, le contact permanent avec les clients, l’expertise technique (coloration, balayage, lissage…), la gestion d’une équipe, la formation, éventuellement, la communication et le marketing, l’animation des réseaux sociaux… La moitié des salons sont de très petites entreprises, tandis que l’auto-entrepreunariat / statut de free lance a explosé, jusqu’à représenter un quart des entreprises de coiffure aujourd’hui*.

    Sur tous les professionnels que j’ai rencontrés, je peux compter sur les doigts d’une main ceux qui sont heureux dans leur métier. (Garance Delacour)

De plus en plus, vu la multiplication des petites structures, le(la) patron(ne) coiffeur(se) doit tout faire. Structurellement, les artisans coiffeurs ont ainsi beaucoup de contraintes et de stress de nature variée sur les épaules. Pas étonnant qu’ils soient particulièrement exposés au surmenage (je n’ai pas de chiffres, mais vu le cumul des différents postes opérationnels, cela semble assez évident). « Nous avons tous le même problème, confirme la coloriste et formatrice Garance Delacour. Je vois énormément de coiffeurs à travers mes formations, pratiquement chaque semaine. Ces questions de charge mentale et de stress, c’est un sujet qui revient tout le temps. Sur tous ces professionnels que j’ai rencontrés, je peux compter sur les doigts d’une seule main ceux qui sont très heureux dans leur métier. »

Une prise de conscience progressive

Le positif, dans tout ça ? c’est la prise de conscience des professionnels, avec une once de fierté, parfois, de tout ce qu’ils font. J’ai d’ailleurs noté le développement d’un merchandising plein d’humour et valorisant (ci-dessous), ce qui me semble assez nouveau…

 

accessoires coiffeuse

L'humour à la rescousse : une affiche vue sur Planetee, un carnet de notes sur Amazon...

 

S’autoriser à être fier, et à se dire qu’on en fait beaucoup, c’est déjà un bon début. Mais cela doit aussi permettre de réfléchir aux moyens d’en faire moins… avant de craquer. Et justement, sur la question des limites, on observe aussi une petite évolution. Sur Tik Tok, Instagram, Facebook, des coiffeur(se)s postent des visuels ou vidéos où ils s’autorisent enfin à dire non à une cliente. Incroyable ! Et encore inenvisageable il y a 3 ou 4 ans… Je like bien sûr à tour de bras ce genre de publications. Et j’en publie une, récente, pour l’exemple… et pour le plaisir.

 

screenshot_20250408_132101_facebook

 

Côté L’Oréal Professionnel, on estime à 6000 le nombre de coiffeurs d’ores et déjà touchés via les Head Up Keys, accessibles sur le site L’Oréal Access ou sur You Tube. Ce qui est un premier pas en termes de sensibilisation. Quant aux Master Classes, comme l’admet Denise Guillouet, « on se rend compte qu’il est difficile, pour un coiffeur, de prendre une demi-journée sur son temps de travail ». Alors, pour aider les pros à se libérer, Head Up va proposer un nouveau format, sous la forme d’afterworks de 2 heures en soirée. Une parenthèse de convivialité et de bien-être où les managers pourront se parler autour d’un cocktail, et rencontrer l’ONG Mental Tech (le 22 mai à Paris et Nantes).

 

head up real campus

Une Master Class Head Up à Real Campus, à Paris

 

A noter : 2 Master Classes ont déjà eu lieu à Real Campus. « Les jeunes sont déjà touchés, pour certains, oui, continue Denise Guillouet. On peut être touché par ces problèmes de charge mentale très tôt, c’est pour ça qu’il faut en parler très tôt », confirme la spécialiste du programme chez L’Oréal Professionnel. La coiffure est un métier auquel on accède souvent de façon très précoce, et qu'on embrasse avec tous ses aspects « too much »... Mieux vaut prévenir que guérir !

08/04/25

S'abonner à la newsletter