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Au musée des Arts Déco : la beauté selon Mugler

Artiste total emblématique de la mode des années 80 et 90, Thierry Mugler fait l’objet d’une expo magistrale au Musée des Arts Décoratifs (Paris 1er). Conçue par le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), cette superbe rétrospective retrace l’oeuvre d’un créateur à bien des égards visionnaire, qui a révolutionné non seulement la mode et la Haute couture, mais qui a aussi laissé son empreinte dans le monde du parfum et dans l’univers de la photo.

Qui a côtoyé son univers à la fois explosif et raffiné ne peut l’avoir oublié. A l’instar d’un Galliano ou d’un Alexander McQueen (ce dernier s’étant clairement revendiqué son héritier), ses créations font désormais partie de l’histoire de la mode, mais aussi de l’art. Son premier défilé a eu lieu en 1975, il a quitté la mode en 2003, mais il a continué depuis lors d’inspirer des générations de créateurs, d’artistes. Aujourd’hui, il fascine les réseaux sociaux et les divas du show-business (Beyoncé, Lady Gaga, Cardi B ou Kim Kardashian).

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Jerry Hall et Thierry Mugler, 1996 © The Helmut Newton Estate

Des créatures hybrides inoubliables

Ses créatures hybrides naviguent entre une féminité exacerbée, hyper sexualisée, l’évocation d’un bestiaire qui stimule sa créativité sans limites (insectes, reptiles, oiseaux, papillons…), lui inspirant une infinité de variations sur les pelages, carapaces, plumes, reflets irisés, etc., et aussi les premières intuitions d’un transhumanisme qui s’exprime actuellement à travers la réalité augmentée ou la chirurgie esthétique.

Pourrait-il aujourd’hui s’exprimer aussi librement, jouant avec les codes et les clichés d’une femme aussi belle que puissante, ou soumise au désir masculin, selon l’interprétation ? Rien n’est moins sûr, même si force est de reconnaître que les grands classiques de sa garde-robe - vestes hyper épaulées, leggings en latex, robes sirènes… - reviennent en force, tout comme son goût pour le détournement de matières industrielles ou techniques (caoutchouc, résines thermoformées, métal…) est aujourd’hui rentré dans les mœurs.

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Collection Les Insectes. Haute couture PE 1997 Robe en latex peint « carapace » © Indüstria/Brad Branson and Fritz Kok

 

Indéniablement précurseur, d’une fécondité artistique sans bornes, il a bouleversé le petit monde feutré des défilés parisiens, imaginant de véritables shows, bien avant John Galliano ou Karl Lagerfeld. Ses défilés-spectacles ont inauguré le mélange joyeux des mondes de la mode, de la musique et du show-business, envoyant une flopée de femmes fatales, mi-insectes, mi-créatures futuristes. Il a aussi bousculé l’univers du parfum, en lançant « Angel », en 1992, la première fragrance ouvertement sucrée et « gourmande ».

Des femmes irréelles et... puissantes

Guerrières et/ou sensuelles, Mugler a fermement ancré dans l’imaginaire collectif des silhouettes féminines devenues iconiques. Telle la silhouette languissante de Jerry Hall, éternelle incarnation d’Angel, avec sa voluptueuse chevelure dorée, ou celles de ses archétypes fétiches - et parfois fétichistes -, tout en corsets, seins saillants, décolletés vertigineux, tailles étranglées, jambes infinies et épaules dénudées – ou démesurées.

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Jerry Hall. Campagne publicitaire du parfum Angel. Collection Superstar Diana Ross, prêt-à-porter PE 1991 © Manfred Thierry Mugler

 

Des femmes irréelles à force de perfection esthétique, extrêmement bien « carrossées », affûtées comme des croquis… C’était la fameuse « glamazone », une femme chic, urbaine et moderne qui faisait voler en éclats la naïve beauté au naturel de la fin des années 70, version hippies & flower power...

Bientôt critiqué pour son hyper érotisation -parfois qualifiée de pornographie- après avoir été porté aux nues, Mugler a pris acte du changement d’époque et s’en est allé, reprenant son premier prénom (Manfred) et poursuivant sur son propre corps ses expérimentations de transformation plastique.

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David Bowie. Collection Les Cow-boys, prêt-à-porter PE 1992 © Brian Aris/ArisPrints 2017

 

Les polémiques et stériles confrontations idéologiques, il s'en est ainsi préservé, se concentrant sur la création pure. Mais peut-être y échappera-t-il toujours, finalement : son univers synthétise tellement brillamment puissance et séduction qu’il a fait exploser tous les clichés, y compris ceux avec lesquels il jouait. Et puis, hypersexualité ou fluidité des genres (Bowie puisait dans ses collections féminines), il a toujours eu plusieurs générations d'avance...

Démonstration ultime de sa liberté, à l’heure où l’on ne jure par les beautés plurielles et non normées : il a créé un monde singulier, peuplé de créatures parfaites, que personne ne songerait plus à juger. C’est donc la victoire par K.O. de ce combattant de « la beauté extrême » que cette magnifique exposition célèbre, jusqu’au printemps prochain. Il serait dommage de passer à côté d’un tel chapitre de l’histoire de la mode (et de la photo de mode).

Thierry Mugler, « Couturissime »
Musée des Arts Décoratifs, 107 rue de Rivoli (Paris 1er)
Jusqu’au 24 avril 2022.
19/10/21

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